la guerre de Course…

par Alfred Mayeux (1912-1996)


À ce sujet, je voudrais essayer de vous préciser un point souvent négligé et peu connu du public en général : la définition des corsaires.

Souvent on les confond avec les pirates et dans l'ignorance, on utilise l'un ou l'autre terme.

Or, « la Course » comme l'on disait, est pratiquée dès le XVIe siècle. Au début, elle était anarchique et peu contrôlée pendant les hostilités. Les intérêts politiques étaient si confus que le problème de savoir si un navire de commerce était d'une nation ennemie ou neutre était très vague ; c'est alors que la course et la piraterie étaient difficiles à distinguer. La « lettre de marque » était théoriquement obligatoire, mais souvent laissée de côté.

La course vraiment organisée à Granville peut être datée, d'après Charles de la Morandière, de 1620 où l'on trouve un corsaire pourvu d'une lettre de marque et dorénavant, la course va être sérieusement réglementée, surveillée et encouragée et devenir une des branches importante de l'industrie maritime de même que l'armement morutier et baleinier et plus tard la pêche des huîtres.

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Qu'était donc cette fameuse « lettre de marque » ?

C'était une autorisation officielle délivrée par le Roi ou la République ou tout autre régime à un armateur ou un commandant de navire — déterminé par son nom, son tonnage et son port d'attache — pour une durée strictement limitée partant du jour de l'enregistrement au bureau de l'Inscription Maritime de son ressort.

Elle donnait l'autorisation d'armer ce navire en guerre avec l'équipage, les canons, poudre, munitions et vivres nécessaires afin de le mettre en mesure de courir sur tous les ennemis de l'État, les pirates, les forbans et autres, de les prendre avec leurs navires, armement et cargaisons et de les amener dans un port en se conformant aux lois concernant ces opérations, puis de faire à son retour rapport devant l'Administration de la Marine.

Enfin elle contenait l'invitation par le Roi ou le chef de l'État à tous navires de puissances amies d'assurer au capitaine dudit navire toutes aides, assistances et libre passage à son bâtiment et à ses prises.

En général, et surtout à partir du XVIIe siècle, l'observation de ces lois et règlements concernant la guerre de course était de plus en plus strictes… la manière de combattre, d'arraisonner les prises, de les faire convoyer dans un port où leur légitimité était examinée et où elles étaient vendues par les tribunaux maritimes était très organisée.

Le règlement des adjudications et la répartition du produit étaient strictement réglementés.

Ensuite, les comptes des armateurs, des actionnaires, des équipages et de l'État soumis à des règles précises ; un prélèvement d'environ 2% était opéré au profit de la caisse des invalides de la marine qui existait dans chaque amirauté depuis environ 1700.

Un règlement des parts de prises était établi avant chaque course entre les membres de l'équipage suivant le rôle, l'Amirauté touchait environ 8%, l'équipage 1/3, l'armateur 2/3.

Il existait un autre procédé que la prise du navire, c'était le « Traité de Rançon » appliqué par le corsaire lorsque pour diverses raisons la prise ne pouvait avoir lieu ; une somme étant fixée et acceptée par le capitaine pris, un contrat signé et la prise était libérée ; ce contrat était validé au retour devant l'Inscription maritime.

Il y eut des périodes, notamment au milieu du XVIIIe siècle, où les armateurs affrétaient des vaisseaux pour les louer au Roi. Par exemple, en 1756 à Granville, six navires furent loués au Roi et payés 18 livres par tonneau et par mois ; les réparations et les munitions étaient au frais de sa Majesté qui touchait 1/5e du montant des prises.

Sous Louis XVI, les commandants des navires corsaires de 30 canons et au dessus eurent le grade de lieutenant de frégate avec l'uniforme ; à cette époque Granville avait 6 navires corsaires de cette force.

L'action des corsaires continue sous la Révolution et l'Empire jusque vers 1812 où il n'y eut plus de corsaires granvillais.

En effet il faut signaler que les armateurs et négociants granvillais s'étaient aperçus qu'il existait une activité moins dangereuse et plus fructueuse qu'on nommait « l'armement sous licence ». C'était l'époque du Blocus Continental qui devait isoler les côtes de l'Europe de Napoléon en 1806 ; mais comme dans tous les blocus, il s'avéra mortel de supprimer certaines exportations et des denrées étaient indispensables à importer.

En 1809 le gouvernement autorisa certaines exportations en Angleterre et dans les pays du Nord à condition de rapporter des chargements de denrées dont la France avait besoin. Ce trafic exigeait une licence du gouvernement français et une autre du gouvernement anglais et la navigation se faisait sous pavillon neutre avec à bord un commandant étranger de nationalité neutre, désigné comme chef de l'expédition. Les Granvillais naviguaient le plus souvent sous pavillon prussien ou danois, norvégien, américain…

Après le traité de Paris en 1815, le calme règne officiellement jusque vers 1880 sous la IIIe République où une hostilité franco-anglaise existe à propos des colonies et à propos de Terre Neuve, jusqu'en 1904 date de l'Entente Cordiale.



suite : la lettre de marque